"L'
initiation est coexistante à toute
existence humaine authentique. Pour 2 raisons : d'une part parce que toute
vie humaine authentique implique crises de profondeurs, épreuves, angoisse, perte et reconnaissance de soi, "
mort et résurrection" ; d'autre part, parce que quelle que soit sa plénitude, toute existence se révèle, à un certain moment, comme une existence ratée"1. Chez tout
homme, de quelque culture, de quelque
religion ou de quelque strate sociale qu'il soit, le
questionnement et la
recherche de soi font partie intégrante de sa vie à un moment déterminé. Chaque être dans son
essence est amené à s'interroger sur lui-même, sur la nature profonde de ce qui l'entoure, mais également sur ce qui le dépasse et l'inquiète : la mort. C'est dans la perspective de sa propre fin que l'homme se cherche afin de trouver un sens à son existence, et, par-là même, à la mort. Celle-ci, au-delà de l'étape
initiatique, comme l'a décrite dans son travail l'ethnologue Henri Junod (voir ci-dessous), représente la renaissance de l'être nouveau, de « l'homme
spirituel » par opposition à « l'homme naturel » :
- mort
- instruction pendant une retraite
- renaissance
La mort occupe un rôle primordial dans le questionnement et la régénération de l'être humain, et, par conséquent, dans la réflexion ésotérique qu'il mènera lui-même ou grâce à autrui, sur les questions essentielles de la vie et les initiations sous-jacentes s'y rapportant.
Au fil de son existence, il expérimentera diverses instructions, c'est-à-dire vivra des épreuves jalonnant son parcours d'être « primitif » jusqu' à
devenir l'être individuel, social et humain ; étapes qui le poussent à avancer, à se découvrir et se construire en tant qu'homme, et ainsi se réaliser en tant que tel, par la
connaissance de soi, puis de l'autre et du tout.
L'initiation exerce une fonction formatrice chez l'être en construction, comme nous pouvons le constater dans les rites2 africains qui visent à créer une rupture (mort/renaissance), entre un état et un autre (initiation pubertaire par exemple). Afin de former l'individu, en lui enseignant les principes et les qualités essentielles à son intégration dans la société. En cela, l'initiation est un passage obligatoire pour intégrer le groupe social auquel il appartient.
Les initiations antiques avaient pour but de faire passer l'homme de l'état de
profane à celui d'
initié, et ainsi l'amener à un niveau de compréhension et de perception supérieur où il était à même d'aborder de grandes questions : la vie, l'
univers et
Dieu. Ce que les
esprits traduisent dans leurs communications par « éveiller l'
esprit en l'homme ».
Au travers de différentes épreuves initiatiques et de divers rituels3 servant d'introduction et d'intronisation, on tend vers l'
éveil chez le profane, l'envie d'apprendre et de comprendre, afin de lui ouvrir les yeux sur un autre palier de
conscience qui lui permettra d'accéder à « un mode d'être supérieur »4.
Dans nos sociétés occidentales l'initiation est un acte volontaire. Le premier pas étant cette décision consciente d'apprendre : "L'initiation est née quand la conscience a émergé dans le
coeur de l'homme" selon
Jung. Le terme « initiation » a pour origine le mot « initium » qui en latin signifie « commencement », mais également « initinere » qui exprime « sur le
chemin ». Elle représente tout autant le premier pas du profane que le cheminement en lui-même.
L'initiation est bien plus que l'ouverture du voile sur le
Savoir, c'est avant tout un chemin intérieur vers la Connaissance, qui exige un travail profond sur soi-même, afin d'aller un peu plus loin dans le perfectionnement et l'entendement de Soi et des autres. Jung l'exprime avec justesse dans cette définition : "L'initiation ne retire pas l'individu du monde, elle ramène le monde à l'intérieur de l'individu". Ce qui équivaut à la présenter en tant que processus de prise de conscience débouchant sur la réalisation de l'Homme, et non, comme l'entend le profane par peur et ignorance, l'aliénation de la société dont l'individu est issu. Ce processus se donnant comme objectif la naissance de l'envie de connaître, plutôt que celui de transmettre un Savoir.
Le Savoir est un état stagnant, la Connaissance est un état évolutif.
Dans cette infime nuance, réside toute la signification de l'initiation qui consiste, comme mentionné ci-dessus, à susciter chez le profane le désir d'apprendre, de comprendre et tendre vers la connaissance, tout en sachant que celle-ci est un perpétuel cycle d'apprentissage, de remise en
question et de travail sur soi. C'est dans l'essence même de l'initiation que ce parcours est éveil et non le réveil, l'ouverture d'une
porte et non de la porte, l'
évocation d'un chemin et non l'
imposition de celui-ci.
L'Homme, révélé à lui-même, est en mesure d'accomplir le « regressus ad uterum » formulé par Mircea Eliade, et ainsi re-naître autre à une nouvelle vie. La mort/renaissance est un principe fondamental dans l'initiation, fréquemment abordée par différents légataires d'un Savoir issu de la
Tradition ésotérique :
Ne le dites à nul autre qu'au
sage,
Car la foule est prompte à l'insulte.
Je veux louer le vivant
Qui aspire à
mourir dans la
flamme.
Dans la fraîcheur des nuits d'
amour,
Où tu reçus la vie, où tu la donnas,
Te saisit un sentiment étrange
Quand luit le flambeau silencieux.
Tu ne restes plus enfermé
Dans l'ombre ténébreuse
Et un désir nouveau t'entraîne
Vers un plus haut hyménée.
Nulle distance ne te rebute,
Tu accours en volant, fasciné
Et enfin, amant de la
lumière,
Te voilà, ô papillon consumé.
Et tant que tu n'as pas compris
Ce : "Meurs et deviens"
Tu n'es qu'un hôte obscur
Sur la terre ténébreuse.5
Le passage allégorique des
ténèbres à la lumière, de la mort à la résurrection se réalise par la volonté de l'homme à se transformer, par son action et le travail sur lui-même.
Qu'est-ce donc cette mort ?
C'est la mort de la chenille qui devient papillon, ou, en d'autres termes, le long et douloureux cheminement du profane à l'initié. A l'image du papillon, il laissera derrière lui le monde « grossier » et son état premier pour apercevoir le monde spirituel qui s'ouvre à lui dorénavant, à travers son chemin initiatique. Travail ardu, long et profond exigeant courage, persévérance et effort par une remise en question permanente, un état d'instabilité et de doute incessants mais nécessaires à l'entendement. Ainsi, l'initié par truchements et étapes parvient à surmonter des épreuves qui sont autant d'apprentissages, lui ouvrant peu à peu les portes de la connaissance, l'éveillant aux mystères de la vie, à la prise de conscience de lui-même et de l'univers.
La volonté d'une démarche initiatique est clairement le choix d'un chemin de perfectionnement et de
vérité du « cherchant ». Un parcours de remise en question perpétuelle où chacun se découvre en parcourant sa propre voie. Ainsi est l'initiation : la naissance de l'homme à l'esprit, sa régénération par la mort et la renaissance.
1 MIRCEA ELIADE, Initiation, rites, sociétés secrètes, Gallimard, Folio-Essais, 1997, p. 281
2 Les rites permettent de s'intégrer dans le groupe. Ceci est valable dans l'initiation au sein d'une
fraternité où l'initié devient « un maillon de la chaîne » et partie intégrante de celle-ci, mais également pour l'intégration dans la société, comme par exemple de l'adolescent dans le groupe des adultes.
3 Le
rituel permet de se mettre « en état de... ». Par la pratique du rituel, l'individu se met en condition de travailler et d'apprendre (concentration,
méditation, sacralisation de l'espace et du temps). Et ce, à travers des rites propres à son initiation.
4 MIRCEA ELIADE, Initiation, rites, sociétés secrètes, Gallimard, Folio-Essais, 1997, p. 253
5 GOETHE, Nostalgie Bienheureuse
Commentaires autour du texte